« Méfiez-vous des contrefaçons »
C'est le titre d'un roman policier, mais c'est surtout une histoire vraie qui a pour scène le marché de l'art où un faussaire et son commanditaire trompent collectionneurs et experts en livres en fabriquant des faux et des contrefaçons d'œuvres de François-Louis Schmied, de Gustave Miklos et de Jean Dunand, depuis une dizaine d'années.
Le commanditaire et son faussaire connaissent bien leur sujet, à savoir la fructueuse collaboration entre Gustave Miklos, François-Louis Schmied et Jean Dunand. L'atelier de ce dernier a réalisé des chefs d'œuvre de laque pour des reliures signées Schmied qui réalisent des records d'enchères.
Afin de tromper collectionneurs et experts, le faussaire a copié certaines de ces laques anciennes. Le modèle de « Mowgli et la panthère » pour le « Livre de la Jungle », illustré par Paul Jouve édité par Schmied en 1919, l'a particulièrement intéressé puisque nous avons identifié à ce jour trois contrefaçons en circulation sur le marché de l'art.
Vraies laques
Trois laques authentiques, exécutées dans les ateliers de Dunand, ont été répertoriées.
L’une signée Schmied est conservée à la bibliothèque de Genève, une autre a été vendue en 2012 lors de la dispersion de la collection Marcilhac à Drouot et une troisième provient de la collection du bibliophile Lange.
Chacune d'elles a été réalisée avec quelques variantes de laque et toujours de manière impeccable : trait précis et parfaite maîtrise des techniques sont des caractéristiques indispensables pour connaître et reconnaître l'authenticité d'une laque de Dunand destinée à orner un plat de reliure.
La reliure est la parure du livre pour lequel tous les artistes et artisans (illustrateur, graveur, compositeur, imprimeur, gainier, relieur, laqueur, éditeur) joignent leur excellence pour faire de l'ouvrage une œuvre précieuse entre toutes.
Laques contrefaisantes
Trois laques contrefaisantes de « Mowgli et la panthère » - identifiées à ce jour - sont en circulation sur le marché de l’art, dont celle-ci vendue aux enchères en 2024.
Son exécution n'a rien de commun avec la laque d'époque. Le commanditaire de ces laques contrefaisantes n'a pas trouvé ici un faussaire à la hauteur pour atteindre la même qualité des laques authentiques.
L'appât du gain étant la première motivation des faussaires et de leurs commanditaires, les copies et faux ne peuvent pas rivaliser avec le travail d'époque, trop cher à imiter parfaitement. C'est précisément ce qui nous permet de distinguer le faux de l'œuvre authentique.
Une laque présentée sans sa reliure d'époque doit éveiller la méfiance
Avant de parler de la technique, notons ce fait : aucune des trois laques litigieuses n’est intégrée dans une reliure d’époque. Deux d’entre elles (non reproduites ici) ont été collées sur des supports de fabrication contemporaine.
Celle de 2024 a été présentée détachée de son support en cuir. Sa fiche dans le catalogue de vente constatait des « restes de cuir et de reliure au dos de la plaque », laissant à penser qu'elle aurait été ôtée d'une reliure. Le livre aurait donc tellement souffert qu'il aurait été irrécupérable ? On peut gloser à loisir et c'est bien là qu'est le problème !
Aucune de nos recherches en archives ou dans les catalogues de ventes aux enchères n'a permis de retrouver une laque vendue « seule », séparée de sa reliure d'origine.
Médiocrité d'exécution de la laque contrefaisante
Sur la contrefaçon vendue aux enchères en 2024, le dessin des deux figures et le travail de laque sont, au premier regard, mal exécutés, ce que confirme un examen attentif de l'objet (à droite ci-dessous).
Cette contrefaçon ne rivalise pas avec la laque authentique de l'ancienne collection Marcilhac d'exécution très soignée (à gauche ci-dessous).
Sur la pièce authentique, les coquilles d'œufs blanches ont été disposées avec la plus grande maîtrise : les minuscules morceaux sont posés minutieusement et de manière très serrée, résultat de la dextérité du laqueur de l'atelier Dunand.
Le faussaire, lui, ne maîtrise pas cette technique : ses morceaux de coquilles d'œufs sont informes et mal disposés, avec un espacement beaucoup trop grand entre chacun d'eux. Il n'est pas arrivé à découper d'aussi petits morceaux que ceux de la vraie laque.
Sur la contrefaçon, l'aspect grumeleux est dû à une différence de niveaux entre l'épaisseur des coquilles d'œufs et les zones laquées qui n'ont pas reçu suffisamment de couches de matière. La pose d'un vernis n'est pas parvenue à obtenir une planéité comme celle de l'authentique.
Enfin, parmi tant d'autres défauts, cette contrefaçon ne souffre pas la comparaison avec le dessin des figures de la laque Marcilhac dont le trait est ferme et sûr.
Un faux ou une contrefaçon ne rivalisent jamais avec un vrai. Le but du faussaire ou de son commanditaire étant de les fabriquer avec des économies de moyens (artisan sans éthique, techniques non maîtrisées, matières de moindre qualité) pour en tirer le plus grand bénéfice lors de la vente.
Les collectionneurs doivent rester vigilants : l'apparition sur le marché de l'art depuis moins de 10 ans de trois laques de « Mowgli et la panthère » sans leur reliure d'époque + exécutées (médiocrement) sur le même modèle + sans aucune traçabilité (la provenance) doit les alerter.
Ces plaques de « Mowgli et la panthère » contrefaisantes ont été fabriquées par le même faussaire pour tromper et abuser les experts de ventes aux enchères peu informés.
Selon l'article L716-10 du code de la Propriété intellectuelle, le faussaire encourt une peine de trois ans d'emprisonnement et une amende de 300.000€. En bande organisée (la connivence d'au moins deux personnes), c'est sept ans d'emprisonnement et 750.000€ d'amende.
Pour mettre fin à ce mauvais polar et entraver la diffusion de ces pièces fausses et contrefaisantes qui polluent le marché et dupent les collectionneurs d'art, nous encourageons les professionnels à nous contacter avant toute décision d’inclusion au catalogue d’une vente ou présentation au public.
Auteur :
Alexandra Jaffré, historienne de l’art, expert Art Déco, membre de la Compagnie des Experts en Art et Antiquités, Secrétaire générale du Comité Gustave Miklos.
Comments