En 2015, une fabrication contemporaine avait été déjà repérée. Réalisée d'après un dessin original de Gustave Miklos, il s'agit un faux destiné à tromper.
Cette plaque circulaire en métal d'un diamètre de 20 cm est peinte du profil droit d'une tête de femme au voile doré que cerne un trait noir. L'arrière-plan, également peint, est couvert de motifs décoratifs d'esprit Art Déco aux couleurs posées en aplat. L'objet est présenté en retrait au centre d'un cadre rectangulaire gainé de tissu façon daim noir, mesurant 37 par 41 cm de long. L'ensemble est fixé sur un socle recouvert d'un tissu orange.
Gangrènes de l'art et de son marché, les faux détruisent la confiance des collectionneurs. La mission de l'historien d'art et de l'expert est de les identifier grâce à une analyse objective. Nos travaux s'inscrivent dans cette démarche professionnelle de protection des collectionneurs et du droit moral de l'artiste.
Le faux Miklos à la loupe
En 2015, cette plaque d'une "femme au voile" avait été présentée comme une réalisation en laque de Gustave Miklos par un professionnel de l'art.
Quelques années plus tard, en 2019, l'objet était catalogué par une maison de ventes parisienne sous la description suivante :
"GUSTAVE MIKLOS (1888-1967). Icône moderniste dit aussi Portrait de Dorothy Lamour, circa 1939/40. Tondo. Peinture, dorure, laque et coquille d’œuf sur plaque de laiton. Présenté sur un socle-présentoir moderne tapissé de velours ocre et noir. Monogrammé G. M. au dos".
Quelques années plus tard, en 2023, il apparaît de nouveau chez un autre commissaire-priseur en vue d'être mis aux enchères. L'expert en charge de la vente a sollicité l'avis du Comité Gustave Miklos. Verdict...
Une exécution grossière
Il n'est pas nécessaire d'être spécialiste pour constater qu'il ne s'agit pas de laque, mais d'une peinture sans patine ni signe d'ancienneté. Nous entendons par laque, la matière et la technique utilisées dans les années 30 par les plus grands artistes et artisans de l'époque, comme Jean Dunand qui a transcrit dans cette matière précieuse de nombreux dessins de Gustave Miklos.
Une observation plus approfondie met en évidence une exécution technique de mauvaise facture : support non préparé, lignes grasses, débords de peinture, maladresses évidentes, grossiers ajouts de matière censée être de la coquille d'œuf posée en relief sans aucun savoir-faire.
Cet objet d'exécution médiocre ne supporte pas la comparaison avec le travail de laque et coquilles d'œuf réalisé dans les ateliers de Jean Dunand, dont l'exécution est d'un niveau technique et esthétique sans commune mesure, comme on peut le voir sur cette photographie comparative entre le détail d'un authentique plat de reliure en laque et coquilles d'œuf face à un détail du faux.
Le vrai dessin face à la fausse plaque
Si l'on compare le dessin original authentique de Gustave Miklos ayant servi de modèle à ce faux, on note des différences et des maladresses suffisamment importantes pour confirmer les doutes sur l'authenticité de l'objet : épaisseurs des traits, ligne du sourcil, fard rose sur le visage, boucles de cheveux fantaisistes, forme de la paupière et du menton, sans compter le dessin des lèvres exagérément charnues, loin de l'esthétique d'avant-guerre, sans rapport avec la qualité de dessin observée chez Gustave Miklos.
Un faussaire met toujours inconsciemment l'esprit de son temps dans le faux qu'il réalise, c'est pourquoi l'aspect général sonne "faux".
Un monogramme longtemps inaccessible
Non mentionné lors de sa présentation en 2015, un monogramme à l'arrière de la plaque était annoncé dans la fiche du catalogue de vente de 2019. Cet élément essentiel d'authentification, qui semble miraculeusement apparu entre ces deux dates, restait invérifiable : la plaque avait été puissamment collée à son cadre de présentation, rendant ce monogramme inaccessible.
A notre demande, lors de sa présentation en 2023, la plaque a été décollée. Un monogramme "G. M." existe bien, mais sa calligraphie nous est inconnue.
On peut se demander pourquoi une telle fixation d'un objet d'art, qui se veut précieux, occultait un élément essentiel de son authentification : serions-nous en présence d'un dissimulateur doublé d'un socleur incompétent ?
La présence de ce monogramme est à notre avis un élément à charge indiquant une volonté de tromper. La présomption d'un faux en art repose sur un faisceau de faits les plus objectifs possibles, intéressons-nous maintenant à la provenance.
Une provenance bien mystérieuse
L'indication d'une provenance est une information qui peut être déterminante dans l'acte d'achat. Elle ne valide cependant en rien l'authenticité d'un objet.
La fiche du catalogue de vente de 2019 spécifiait pour cette plaque de "femme au voile" :
" - Collection Imre Cserespflavi, éditeur franco-hongrois, proche de Gustave Miklos. - Mme Katy Calligan, fille du précédent. Œuvre détenue par voie de succession. - Collection X. Œuvre acquise auprès de la précédente".
Nous avons cherché "Imre Cserespflavi" sur internet. Nulle trace sur Google, hormis les liens guidant vers les œuvres de la vente aux enchères de 2019.
Un de nos correspondants hongrois a finalement reconstitué la bonne orthographe de ce nom. Il s'agit d'Imré CserÉpfALvi et non pas d'Imre CsereSpfLAvi. Quant à elle, la fille de l'éditeur ne s'appelle pas Katy Calligan, mais Katalin Galligan, avec un G et non pas avec un C.
Effectivement éditeur hongrois, Imré Cserépfalvi était venu à Paris entre 1923 et 1928. N'ayant aucun élément dans notre fonds d'archives Miklos, ni note, ni correspondance entre les deux hommes, une relation amicale ou professionnelle, si elle est envisageable, ne reste aujourd'hui qu'à l'état d'hypothèse.
Si une telle relation était ultérieurement prouvée, l'éditeur pourrait-il seulement avoir conservé des liens étroits avec Miklos au point de recevoir chez lui en Hongrie une œuvre "précieuse" réalisée dans les premières années de la Seconde Guerre mondiale ?
Dans une vente aux enchères, la provenance, quand elle est donnée par le vendeur lui-même, repose sur la seule confiance que l'on peut avoir envers lui. Sollicitée pour nous apporter plus de renseignements sur la provenance, la maison de ventes, ayant procédé aux enchères de 2019, ne nous a pas répondu.
Un même dessin authentique, mais aux deux provenances différentes
Cette plaque de la "femme au voile" avait été vendue aux côtés du dessin authentique qui lui avait servi de modèle. Ce dessin était indiqué comme issu de la même provenance hongroise.
Or, trois ans auparavant, l'auteur d'un article de presse de 2016 consacré à cette "femme au voile", et se présentant comme son découvreur, mentionnait à ce dessin une provenance jurassienne, celle d'anciens amis de Gustave Miklos.
On notera, entre les deux, une contradiction certaine.
L'identification de la femme au voile, fruit d'un raccourci inattendu
L'identité d'un modèle représenté n'influe pas sur l'authenticité d'une œuvre, mais induit un rapprochement entre celui-ci et l'œuvre qui le représente. Un modèle prestigieux lui octroie inévitablement une certaine valeur et un crédit. Intéressons-nous donc rapidement au modèle peint sur cette plaque.
Le catalogue de vente reprenait en historique un extrait de l'article de 2016, cité plus haut. A la faveur d'une exposition consacrée à Gustave Miklos, l'auteur disait avoir identifié le modèle de cette "femme au voile" comme l'actrice américaine Dorothy Lamour, grâce au rapprochement de deux documents.
Enquêtant sur son raisonnement, nous nous sommes procurés la photo de la vitrine de l'exposition où figurait un poncif de la "femme au voile" posé sur une coupure de presse illustrée d'une photo de Dorothy Lamour.
Au vu de la photographie de la vitrine, aucun élément objectif ne prouve que la "femme au voile" sur le poncif est effectivement un portrait de "la plus belle femme du monde", qualifiée ainsi par le public d'avant-guerre. Pour l'auteur de l'article, il semble cependant que l'association physique de deux documents suffise à conclure que la plaque ornée est bel et bien un portrait de l'actrice. Déduction discutable, mais reprise textuellement par la maison de ventes en 2019.
La fabrication d'une fausse œuvre d'art nécessite deux choses : une œuvre, plus ou moins bien réalisée, et une belle histoire rendant l'objet du "délit" séduisant.
La plaque de la "femme au voile" et l'histoire qui lui est accolée... tout porte à la suspicion
Un faussaire compte sur la "séduction" spontanée que son faux opèrera. Les contraintes de réactivité imposées par la date d'une vente publique ne donnent souvent pas le temps nécessaire à une analyse critique. Cette faille permet aux faux de s'immiscer sur le marché de l'art. Lesquels sont ensuite validés par la caution d'un professionnel.
Un faux porte sur lui tous les indices de sa culpabilité :
- Ici, la plaque de la "femme au voile" est le produit d'une main non-qualifiée, d'une exécution sans savoir-faire technique, d'une interprétation fantaisiste du dessin original, d'une esthétique trahissant un goût contemporain, et sans patine.
- Information longtemps rendue inaccessible, la présence d'un monogramme pose pour le moins question.
Ce dernier élément relève de la manœuvre frauduleuse caractérisant la volonté manifeste de tromper de la part du faussaire pour faire passer sa fabrication pour un vrai Miklos. Il ne s'agit ni de plagiat ni de contrefaçon, mais bien d'un faux relevant de l'escroquerie.
L'environnement narratif (son histoire) accolé à ce faux confirme notre avis. On constate le caractère difficilement vérifiable des informations fournies qui sont imprécises, et même contradictoires :
- La vérification de la provenance de cet objet litigieux était impossible dans un délai raisonnable entre la date de publication du catalogue et la date de la vente aux enchères, en raison d'erreurs d'orthographe dans la retranscription des noms étrangers.
- La potentielle relation professionnelle ou amicale entre Miklos et Cserépfalvi était imposée sans argumentation, demeurant une croyance apparemment non vérifiée.
- La provenance du dessin authentique ayant servi de modèle à la fabrication de cette plaque fait l'objet de deux versions contradictoires.
En 2019, la maison de ventes parisienne a vendu de toute bonne foi (précisons qu'elle n'est en rien complice, mais victime) ce faux Miklos pour plus de 10.000€. En 2023, à la faveur de son retour sur le marché, le Comité Gustave Miklos est intervenu pour empêcher sa nouvelle mise en vente.
Ce faux figurera dans le nouveau catalogue raisonné des œuvres de Gustave Miklos à la rubrique des faux, des plagiats et des contrefaçons.
Les quelques faux Miklos que nous avons identifiés restent un épiphénomène que nous surveillons de très près. Ils donneront lieu à la publication d'autres articles.
Le rôle du Comité Gustave Miklos est d'assister les professionnels de l'art avant la mise au catalogue des pièces de Gustave Miklos, attribuées à Gustave Miklos ou présentées comme de Gustave Miklos. Nous pouvons délivrer des certificats d'authenticité aux personnes qui en font la demande, ainsi que des rapports d'expertise.
Le Comité Gustave Miklos agit dans l'intérêt des collectionneurs, de la sécurisation du marché et de la protection du droit moral de l'artiste.
Auteur :
Alexandra Jaffré, historienne de l’art, expert Art Déco, membre de la Compagnie des Experts en Art et Antiquités, Secrétaire générale du Comité Gustave Miklos.
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NdA : Cet article a été rédigé en l’état actuel de nos recherches et de nos connaissances. Il sera susceptible d’être augmenté ou modifié en fonction de futures découvertes.