Retranscription de l'article de Jean Guiffrey (+) publié dans la revue La Renaissance, mai 1928.
M. Gustave Miklos est né en Hongrie, à Budapest, il y a une quarantaine d’années. Si la lutte pour l’existence fut rude pour lui comme pour tant d’autres artistes éminents, du moins sut-il maintenir très haut l’idéal qu’il s’était donné. Il eut, tout jeune, la bonne fortune de recevoir des leçons d’un maître excellent, le peintre hongrois Kimnach qu’il ne quitta que pour entrer à l’Ecole Royale des Arts Décoratifs de Budapest où il demeura quelques temps. Il revient ensuite auprès de son maître jusqu’en 1909, date de son départ pour Paris.
Il y arrivait au moment où prenait naissance le mouvement artiste, où les jeunes gens ardents comme lui s’enthousiasmaient pour les recherches de formes adaptées aux idées, aux nécessités, aux conditions de notre époque. Il se fit le défenseur passionné des tendances nouvelles.
La guerre survint : comme tant d’autres étrangers fixés à Paris, de noble caractère, il s’engagea dans la légion étrangère pour marquer sa reconnaissance au pays où il avait reçu l’hospitalité et où il avait trouvé l’occasion de développer librement ses aspirations. Il fut envoyé à l’armée d’Orient et put admirer quelques magnifiques monuments d’art byzantin.
Il reçut après la guerre la nationalisation française, et, au moment où il aspirait ardemment à combler par une activité plus grande le vide de cinq années, il eut la bonne fortune d’être remarqué par M. Jacques Doucet (les œuvres de Gustave Miklos que possède M. Jacques Doucet sont les suivantes : Deux bêtes affrontées (bronze doré polychrome); deux bêtes surmontant une coupe en granit noir et blanc de Chine ; oiseaux en argent surmontant une coupe de nacre ; cristal de roche améthyste avec base de bronze, avec éclairage violet intérieurement ; cristal de roche fumé avec base de bronze, avec éclairage intérieur vert), de recevoir de lui un magnifique encouragement lui permettant de trouver sa voie et les moyens de réaliser quelques-unes de ses meilleures œuvres.
Dès lors, Gustave Miklos s’adonne exclusivement à la sculpture mettant tous ses soins à faire jouer la lumière sur des matières dures défiant le temps et traitées par lui avec a plus grande perfection possible. Plein de mépris pour la statuaire officielle montrant dans tout la vulgarité la laideur de leurs formes, les personnalités dont on a l’ambition d’honorer le génie, il tente de suggérer et de magnifier, par les beautés intrinsèques des volumes, le génie créateur qu’il voulait honorer par une sculpture architecturale. Sa première réalisation est un hommage à François Liszt dont il admire passionnément le génie.
Les œuvres de Gustave Miklos donnent l’impression très forte d’avoir été longuement méditées avant de recevoir leur forme logique et définitive. Autant qu’il est possible pour des œuvres humaines elles approchent de la forme parfaite. Aucun accident pittoresque ne vient troubler leur puissante et fière beauté. Même lorsqu’elles doivent représenter quelque sujet concret, l’artiste a su si bien dégager de la forme extérieure l’esprit, l’âme, est-on tenté de dire, de ces œuvres, qu’elles prennent un caractère général, universel, idéal, tel que nul, jusqu’ici, ne s’était proposé de l’exprimer dans le plus matériel des arts : la sculpture.
Que ce soit cette tête de femme en bronze poli, d’une exécution si soignée, si parfaite, sur la surface de laquelle des reflets changeants donnent l’impression de sentiments variés, ou cette magnifique statue de jeune fille de bronze sombre dont les moindres détails, accents, lignes, volumes ont été si minutieusement médités, pesés, discutés, avant d’être arrêtés et exécutés. Ici comme dans tout ce qui porte la marque de Miklos, l’exécution est impeccable. Jamais le bronze, le bois ou la pierre dure n’ont été travaillés avec plus de soin, de science, d’attention et de bonheur.
L’Exposition montre aussi des bronzes inspirés par des animaux. Ici un chien, là un fauve quelque peu fantastique. Dans ces objets la savante disposition des plans, des volumes, des masses aussi bien que des lignes qui en décorent les surfaces charme par sa mystérieuse logique et son heureux développement. Encore la conception est-elle soumise ici à certaines conditions imposées par le sujet.
Dans d’autres œuvres M. Miklos s’en est complètement affranchi et nous pouvons admirer cette sculpture architecturale, ne représentant aucun objet connu, étant seulement constituée par le plus heureuse combinaison de lignes, de plans, de courbes et surtout de droites donnant une très belle impression de stabilité, de noble agencement de lignes se développant selon une logique en quelque sorte mathématique. L’esprit est satisfait de cet ensemble comme de l’élégante solution d’un problème, comme d’une chose bien équilibrée et belle par son ordre.
D’autres œuvres causent une semblable impression, aucune toutefois n’atteint la sublime beauté de ce bloc de diorite noire que l’on a vu désigner sous l’appellation : Divinité, tant sa forme parfaite, son exécution sans défaut, sa noble et puissante simplicité l’élèvent au-dessus de tout ce que l’on a vu. C’est le magnifique aboutissement d’une longue méditation, d’une constante recherche vers une forme de plus en plus pure, abstraite, dégagée de toute imitation de choses matérielles comme de toute sentimentalité ; c’est grand, beau, comme quelque chose de précis et cependant d’immense, comme l’algèbre, comme une beauté naturelle dans laquelle serait contenu en germe tout un monde.
Une notice biographique fournie par M. Gustave Miklos lui-même, nous a fourni les précieux renseignements donnés dans cet article et nous venons à lui en exprimer ici notre gratitude.
Auteur : Jean Guiffrey (1870-1952)
Conservateur du département des peintures du musée du Louvre et historien de l'art.