Retranscription de l'article de Luc Benoist (+) publié dans la revue Art et Décoration, 1931.
Gustave Miklos est un hongrois, né à Budapest il y a plus de quarante ans. Je ne vous ferai pas à son sujet un cours de psychologie ethnique, à la manière de Keyserling, pour montrer dans cette naissance providentielle, dans cette origine touranienne, une prédestination à devenir une valeur, un dominateur, une tête. Pour la bonne raison que ce serait faux ; et que les Touraniens, et particulièrement les Hongrois, n’ont pas donné beaucoup d’artistes au monde.
Cependant il en existe. Gustave Miklos reçut les leçons de l’un d’eux, le seul homme qu’il avoue pour maître, le peintre hongrois Kimnach, qu’il quitta pour entrer à l’Ecole Royale des Arts Décoratifs de Budapest. Il revint ensuite auprès de son maître qu’il quitta de nouveau et définitivement en 1909 pour venir à Paris.
Cette formation de peintre et de décorateur ne le destinait pas nécessairement à sculpter, si ce n’était pour son amour de l’objet et de la forme, son réalisme.
A Paris, s’il eût peu le temps de se manifester, du moins cinq années suffirent pour être conquis par la France puisqu’il fut de ceux qui, avec Cendras et Canudo, lancèrent l’appel aux volontaires étrangers qui devait nous apporter, en 1914, 40.000 combattants de tous les pays du monde.
Cette aventure, si noble pour son caractère, ne fut point perdue pour son talent, et l’un de ses souvenirs les plus forts est celui de la mosaïque byzantine ornant le dôme de Saint-Georges de Salonique. Il en vante avec chaleur l’ampleur décorative, la puissance spirituelle, la science de l’effet, la connaissance la plus raffinée des ressources de la matière et de l’éclairage.
Revenu à Paris, naturalisé français, il reçut l’aide d’un grand amateur, M. Jacques Doucet, au moment où, enfin conscient de sa destinée, il avait décidé de se consacrer entièrement à la sculpture.
Un homme l’avait précédé dans la voie où il entendait marcher, un voisin des Balkans, le roumain Brancusi. Il semble que l’oeuf primordial de Brancusi ait renfermé en son ove le germe de la sculpture nouvelle.
C’est assez dire tout ce que la sculpture de M. Miklos devra à l’architecture et aussi — bien entendu — à la musique.
En entrant dans son atelier, la première choses qui m’attira fut un singulier obélisque s’élançant comme des colonnes de basalte ou des tuyaux d’orgue. « Un hommage à Liszt… » me dit Miklos avec une sorte de dévotion. Car je ne sais s’il admire personne autant que le génial tzigane.
Certes il y aurait beaucoup à dire sur cette inspiration baroque du pianiste romantique, s’il y avait là affinité de tempérament plutôt que d’art. Mais ce qui surtout les unit, ce sont les chants populaires de la Hongrie natale.
A mon avis, il y a peu à dire sur ces architectures sculptées, ou bien on peut dire là-dessus n’importe quoi. L’assimilation à l’architecture est équivoque. Car l’architecture n’a de sens et d’expression que parce qu’elle sert à l’habitation. Une architecture qui n’est pas à l’échelle humaine, sans portes, ni fenêtres, comme la monade de Leibniz ne me dit rien. C’est un monde fermé. Il est beaucoup plus intéressant d’interroger M. Miklos sur ses figures, sur ses animaux, sur ses formes primaires.
L’heureuse particularité, qui le distingue de tant d’autres sculpteurs, dits modernes, que je n’ai pas à nommer ici, c’est que ses transformations, ses simplifications, ses déformations même, respectent toujours ce qu’il y a d’essentiel, les proportions de l’objet et en même temps l’esprit de son évocation.
Car si, à ses débuts, M. Miklos a été conquis — on le comprend — par le cubisme de Braque et de Léger, il a vite saisi que c’était là un cul-de-sac, une manière sans avenir et sans profondeur. Il en est sorti, grâce à Brancusi, je suppose, qui lui montra que la sculpture était l’art le plus général et le développement du plus abstrait de tous nos sens, du toucher.
Mais ceci posé, M. Miklos est l’homme du monde le moins destiné à un stérile dogmatisme. Il lui arrive de trouver la nature trop nue et trop dépouillée. Si l’on s’étonne de voir sur la tête de ses femmes une coiffe et un diadème, c’est, dit-il, pour leur rendre ce qu’elles ont perdu, un peu de leur grâce et de leur mystère.
Le sens original du mystère, qui vient sans doute de son origine, c’est ce que je préfère dans l’art de M. Miklos. C’est aussi cet esprit qui prête à ses animaux si héraldiques, une étrange attirance quasi historique. Il serait vain de nier ce qu’ils doivent aux bêtes du plus vieil art chinois.
Je veux enfin remercier M. Miklos d’avoir respecté, avec ses proportions, le charme de la figure humaine. Certes, elles paraissent bien lointaines ces faces allongées, aux paupières lourdes, au nez pensif et aux lèvres songeuses. Leur beauté, leur grandeur vient de cet éloignement.
Peu d’arts sont comme l’art de notre époque en contradiction, en protestation avec l’esprit de notre vie. Il semble qu’il nous devance, qu’il retourne en nous montrant le chemin à nos religieuses et hiératiques origines. La sculpture de M. Miklos en est une des preuves les plus sensibles, les plus prenantes, les plus réussies. Sous son apparence très actuelle, elle s’évade de notre emprise avec une hautaine souplesse. Il y a là un indice précieux sur les conditions de la véritable durée.
Auteur : Luc Benoist (1893-1979) Historien d'art, écrivain et conservateur, pour la revue Art et Décoration, 1931.