Un professionnel des enchères peut-il utiliser les expressions du décret Marcus comme « attribué à », ou « dans le goût de », « style », « manière de », « genre de », « d’après », « façon de » pour vendre des œuvres qui sont de toute évidence des faux ou des contrefaçons ?

Depuis quelques années, certains experts d’art et comité d'artistes pointent une dérive dans la rédaction des fiches décrivant des œuvres d'art dans les ventes publiques sur site ou online.
Ces fiches, dont la raison d'être est d’informer l'éventuel acquéreur sur la nature exacte de l'objet qu'il convoite, sont parfois formulées dans des termes entretenant un certain flou... artistique.
L'utilisation abusive et exponentielle des expressions du décret Marcus, visant pourtant à éclairer l'amateur d'art, en est un exemple.
De l'usage abusif des expressions du décret Marcus
Les professionnels des enchères emploient parfois les expressions du décret Marcus comme « attribué à » (article 4), « dans le goût de », « style », « manière de », « genre de », « d’après », « façon de » (article 7) quand il leur est impossible d'identifier avec certitude l'auteur d'une œuvre d'art ancienne ou d'une antiquité.
Si cet emploi est justifié et conseillé quand il est de bonne foi, il n'en est pas de même lorsque ces expressions sont uniquement utilisées pour accoler un nom prestigieux à des œuvres manifestement médiocres, litigieuses, voire même frauduleuses.
Ces professionnels, sans nécessairement penser à mal, bénéficient pour leur part d'une double opportunité, mais qui nuit à la nécessaire transparence des transactions :
1/ cet usage des expressions marcusiennes permet d'attirer l'attention sur un lot médiocre sans dire sa nature exacte (copie, édition posthume illégale, contrefaçon) ni prendre le risque de se voir accuser d’une erreur d'appréciation entraînant un vice du consentement pouvant annuler la vente (l'authenticité n'étant pas clairement prononcée, mais subtilement suggérée).
2/ cet usage crée un indéniable effet d’annonce publicitaire. Les moteurs de recherche, Google et autres, se fichent éperdument de la qualité ou l’authenticité d’un objet d’art. Ils se nourrissent de toute information pouvant créer de l’audience, et mettent en avant les contenus citant des noms connus et prestigieux sans décrypter la signification des quelques expressions qui les précèdent. Tout amateur d’art ayant créé des « alertes » sur des sites spécialisés le sait.
Dans les deux cas, il est possible que cette tendance pernicieuse se renforce dans un futur proche avec l’usage systématique et sans discernement de l’IA par les catalogueurs et professionnels de l’art.
Si les premières victimes sont les acheteurs, les artistes, dont les noms se trouvent accolés à ces lots mal désignés, faux ou contrefaisants, souffrent de ces pratiques qui polluent leurs œuvres et tirent leur travail vers le bas. C'est pour les protéger que les comités d'artiste interviennent au nom du droit moral qu'ils défendent.
Cas pratique : le détournement d'une expression de l'article 7 du décret Marcus pour vendre une contrefaçon de Gustave Miklos
Voici un exemple, parmi d’autres, d’une intervention du Comité Gustave Miklos avec cette fonte, non signée, déplorable d’un point de vue technique et artistique, cataloguée par une maison de ventes aux enchères.

Quelques jours avant les enchères (sans expert donc sous la seule responsabilité du gérant de salle), nous prévenons la maison de ventes du caractère contrefaisant de cette fonte présentée sans réserve comme étant « de Gustave Miklos ».
Cette fonte plagie une œuvre originale et unique de Gustave Miklos appelée « Tête de Reine » datée de 1929. L’auteur de la fiche descriptive n’ignore pas leurs nombreuses similitudes puisqu'il avait repris ce titre et qu'il lui avait accolé le nom de l’artiste. Il n’ignore pas non plus la médiocrité du lot en l’affublant d’une estimation trop basse si l'œuvre avait été authentique, mais bien trop élevée pour une contrefaçon.
Sans réagir plus que cela à notre demande de retrait, l’auteur de la fiche modifie alors la désignation pour « dans le goût de Gustave Miklos ». Cette expression de l'article 7 du décret Marcus ne garantit pas l'authenticité, laissant ainsi à l'acheteur la pleine responsabilité de son acquisition.
Y a-t-il une faute à utiliser « dans le goût de » Gustave Miklos ?
Oui, ce professionnel commet quand même une faute.
Si ces expressions « dans le goût de », « style », « manière de », « genre de », « d’après », « façon de » ne garantissent absolument pas que l’œuvre désignée soit de l’artiste en question, elles ne doivent pas servir à cacher, intentionnellement ou non, un élément déterminant : son caractère frauduleux et donc illégal, surtout quand ce professionnel a été prévenu en amont de la vente et qu'il ne communique pas au public cette information déterminante du consentement.

C'est pour éviter ce genre de situations problématiques que les professionnels des ventes aux enchères, qui n'ont pas les connaissances suffisantes pour identifier et se prononcer sur l’authenticité d’une œuvre d'art (et se trouvent donc dans l’incapacité d’en faire une estimation fiable), doivent faire appel à un expert ou un référent indépendant spécialisé qui examinera l'objet pour l'authentifier.
Qu’est-ce qu’une contrefaçon ?
À la différence d'un faux artistique, une contrefaçon n'est pas signée, mais cela ne l'empêche pas d'être tout aussi illégale. Un guide de l'ADAGP l'explique bien.
Une contrefaçon est la reproduction, l’imitation, l’utilisation partielle ou totale d’un droit de propriété intellectuelle. Ici, c’est le droit d’auteur de Gustave Miklos qui est concerné et qui est violé.
Nous avions déjà consacré un article au sujet des faux et des contrefaçons d'après cette « Tête de Reine ».
D'autres exemplaires identiques à cette fonte contrefaisante circulent sur le marché. Ce sont des faux, au sens strict de la loi Bardoux, parce qu’ils portent une fausse signature, mais aussi une fausse date, un faux numéro de tirage et un faux cachet de fondeur. Nous surveillons leurs apparitions sporadiques sur le marché, comme d’autres modèles contrefaisants et faux que nous traçons.
En France, ce délit de contrefaçon est passible de 3 ans d’emprisonnement et de 300.000 € d’amende. En Belgique, il est punit jusqu'à 5 ans et 100.000 € d’amende. Les contrefaçons sont susceptibles d'être saisies et détruites.
Les comités d'artiste sont-ils avec ou contre le marché ?
Nous ne pouvons malheureusement pas passer sous silence les attitudes franchement hostiles que nous subissons de la part de quelques professionnels du marché dépités de ne pouvoir désigner les œuvres problématiques comme ils le souhaiteraient, ou encore certains commentaires accusant de façon générale les comités d'artiste d’un rigorisme anti-libéral et d’entrave à la fluidité des échanges qui ne serait pas « au bénéfice de l'artiste et de sa cote ». Selon eux, l'assainissement effectué par les comités mettrait en danger la confiance des acheteurs dans le marché…
Étonnamment, ils n’évoquent jamais les graves conséquences que peuvent avoir toutes les manipulations sémantiques décrites ici, ni ne remettent en question leur façon de faire.
Les comités d'artiste agissent avant tout pour défendre le droit moral de l'artiste, et donc subséquemment sa cote et son marché, ce qui profite en premier lieu aux collectionneurs (acheteurs et vendeurs), mais aussi à tous les intermédiaires quels qu’ils soient.
Le Comité Gustave Miklos défend un marché de l’art transparent et travaille à la clarification et l’assainissement des mouvements d’œuvres d’art désignées comme étant de Gustave Miklos.
Tous les professionnels de l'art et les amateurs peuvent facilement et très simplement contacter le Comité Gustave Miklos pour demander un avis oral préalable et gratuit. Seuls les écrits et cas nécessitant des recherches approfondies se font sur devis.
Auteur :
Alexandra Jaffré, historienne de l’art, expert Art Déco, membre de la Compagnie des Experts d’Art, Secrétaire générale du Comité Gustave Miklos.